Sortie en montagne 22.
LA GRANDE SÛRE
S'élevant à 1920 mètres d'alitude, ce sommet de moyenne montagne se trouve en Chartreuse et domine la ville de Voiron. Son alpage se dessine en un cirque enclavé observable qu'à l'arrivée des trois grands cols qui le desservent. Leurs noms évocateurs de col de la Grande Vache, de la Petite Vache, ou encore de la Combe des Veaux attestent de l'ancienneté des pratiques pastorales qui s'y déroulent encore. Dans les années 1900, plusieurs chalets familiaux occupés l'été s'y trouvaient.
Disparus depuis, leurs fondations peuvent être observés, en particulier en cheminant par le col de la Placette. C'est un espace classé ZNIEFF, c'est à dire "Zone Naturel d'Intérêt Écologique, Faunistique et Floristique" en raison des espèces et des milieux qui s'y trouvent et qui sont typiques des estives pré-alpiennes. Pour cet été 2018, la série des "Sortie en montagne" ne déroge pas à la règle puisque la montagne vous est présentée en deux temps pour marquer les deux saisons à la quelle nous l'avons découverte.
Au printemps :
Tout est vert. Nous commençons notre excursion bien tard et nous arrêtons à mi-chemin. Les plantes sont au paroxysme de leur floraison, aussi bien dans le sous-bois que le long du chemin qui mène au bout du sommet en trois heures de marche, quatre si on se trouve en famille. Plantes médicinales, magiques et comestibles sont disséminées ça et là le sentier et ponctues le paysage tout au long de notre randonnée.
Lichens et mousses pendent des branches. Contrairement à ce que peut renvoyer l'imagerie populaire, leur présence sur une face d'un tronc ou d'un rocher n'indique pas nécessairement le nord. Le vent, le pluie, l'humidité ambiante, la luminosité et l'essence de l'arbre sont tout autant d'éléments qui peuvent faire mentir ce lieu commun.
Les lichens et les mousses sont également des micro-habitats. Peuplés d'insectes, de petits gastéropodes (escargots, limaces), de bactéries, de champignons et même d'algues, ils sont essentiels au bon fonctionnement des écosystèmes en abritant les ravageurs des arbres mais aussi leurs prédateurs, permettant la régulation des populations végétales et l'autorégulation de la forêt. Les lichens sont très prisés. Certains sont médicinaux comme le lichen barbu (Usnea barbata) et sont utilisés dans la pharmacopée. Les autres sont essentiellement récoltés pour être utilisés dans l'agro-alimentaire comme gélifiant. Dans les pays nordiques comme la Suède, ils servent de fourrage aux immenses troupeaux de rennes élevés en semi-liberté dans les terres inhabitées.
Les champignons font leur apparition. Ceux-ci sont vieux. Il s'agit de polypores marginés (Fomitopsis pinicola) dont le carpophore, c'est à dire la partie visible et souvent associée au chapeau et au pied, est en train de dépérir. Ce phénomène est le plus souvent le signe que la reproduction s'est bien effectuée et a été menée à son terme. Cependant, cela peut aussi dire que le champignon est entrain de subir une attaque par un autre organisme.
Portraits d'orchidées. De gauche à droite, la discrète listère à feuilles ovales (Neottia ovata), la platanthère à deux feuilles (Platanthera bifolia), la non chlorophyllienne néottie à nid d'oiseaux (Neottia nidus-avis) et l'imposante orchis maculée (Dactylorhiza maculata) qui se détermine à son profond labelle.
La raiponce en épi (Phyteuma spicata) semble être un terrain de chasse pour cette araignée crabe (Thomisidae sp.). Ses épis sont blancs mais peuvent parfois être bleus, ce qui est souvent le cas en Chartreuse, ce qui peut entraîner une confusion avec sa sous-espèce, la raiponce occidentale (Phyteuma spicatum subsp. occidentale). Plante forestière et des lisières, elle aime les sols humides, riches en matière organique et exposés au mi-ombre. Comestible, les usages que l'on en tire sont multiples. Avant la floraison ou en tout début de celle-ci, les épis peuvent être cuisinés crus en salade ou mangés tels quels. On peut également les cuire en omelettes, à la vapeur, sautés à la poêle comme des asperges avec leur tige ou caramélisés. Les feuilles caractérisées par la tâche noire qui marque leur centre, connaissent le même sort. Récoltées jeunes et avant la montée en graines, on les incorpore aux salades ou on les mange en soupe ou comme des épinards. La racine peut être râpée ou bouillie. Elle se fait douce quand elle est épluchée, piquante quand elle ne l'est pas. Véritable légume des bois, les innombrables fleurs qui composent l'épi font le délice des abeilles forestières et de nombreux autres pollinisateurs qui se font souvent piéger par les araignées aux aguets. Robuste et ne craignant pas les basses températures, la raiponce en épi pousse jusqu'en haute altitude, parfois à plus de 2000 mètres d'altitude. De ce fait on la trouve sur tout le territoire français, ce qui explique son usage récurrent au cours des siècles pour ses propriétés apéritives et digestives mais aussi ses fleurs utilisées pour soigner les problèmes oculaires et buccaux en raison de leurs supposées vertus astringentes et anti-inflammatoires.
Récolte sauvage. Les jeunes pousses de sapin blanc (Abies alba) et d'épicéa d'Europe (Picea abies) tombent dans nos paniers sous les pincements de nos ongles. Elles termineront en délicieux sirops fait maison qui non contents d'êtres bons, sont également expectorants et mucolutiques, c'est à dire qu'ils fluidifient les mucus. Ces arbres ont également des propriétés anti-inflammatoires, décontractantes et antiseptiques.
À leurs pieds pousse le bolet à pied rouge (Neoboletus luridiformis), à proximité de myrtillers sauvages (Vaccinium myrtillus), choses courantes en particulier en montagne. Pouvant atteindre une belle taille (20 centimètres pour le chapeau), sa chair jaune une fois coupée passe du bleu au rouge poupre rapidement.
La capillaire des murailles (Asplenium trichomanes) se nomme également fausse capillaire ou doradille chevelue. Son système racinaire est puissant, ce qui permet à cette fougère de se loger dans les interstices des falaises et des murs, dans des milieux où elle ne subit que peu la concurrence des autres végétaux, à condition que son substrat soit de nature calcaire ou du moins basique.
Présente sur tout le territoire, elle est facile de culture pour peu qu'on ne lui apporte pas trop de substrat et qu'on lui procure assez d'ombre et d'humidité. Dans la grande théorie des signatures, qui associe une plante à l'organe humaine auquel elle ressemble ou à un mal ayant des attraits similaires à elle (conditions d'apparition, milieu de vie etc.), les asplenium ont réputation de soigner la rate, en raison de leur réseau de sporanges qui évoquent les réseaux sanguins alimentant cette dernière. De là vient leur nom, inspiré du terme grec "Splenon" qui signifie "rate". Le terme capillaire fait allusion à cette même ressemblance avec les fines veinures du corps humain, les capillaires, mais aussi à l'usage de la plante au moyen âge qui voulait que, mélangée à des déjections de chats, elle permette la repousse des cheveux.
Les bords de talus moussus et ouverts à la mi-ombre offrent une grande variété de plantes tel des monotropes suce-pin, des belladones, des saxifrages en tout genre et des scolopendres qui profitent du ruissellement de l'eau et de la couche de bryophytes qui agit comme une véritable éponge, protégeant les végétaux de la sécheresse.
Drôles d'organismes n'est-ce pas ? Il s'agît de myxomycètes, un règne à part qui comporte des milliers d'espèces. Entre le champignon et l'animal, ils sont capables de se déplacer, certe lentement, d'un point à un autre. Ils sont présents dans la litière forestières, les mousses, le bois mort et la matière organique en décompositions.
La plupart d'entre eux se nourrissent de champignons, que ça soit la partie immergée, le carpophore ou souterraine, le mycélium. Certains se spécialisent dans les réseaux mycéliens morts, d'autres sur la fonge vivante. À leur tour ils servent de nourriture, en particulier aux moisissures mais aussi aux insectes et même à de petits gastéropodes. Présents presque partout dans le monde, on en dénombre plus de mille espèces. Leur étude qui fait appelle à la microscopie, donne à avoir des fromes et des couleurs extraordinaires, en particulier sur les parties reproductives.
Nous voilà arrivés au belvédère de None, à 1200 mètres d'altituide. Encore deux heures nous séparent du sommet, compter en trois si vous êtes partis avec votre smala. À nos pieds s'étends la ville de Saint Laurent du Pont dont vous pouvez retrouver l'histoire dans le précédant billet de sortie en forêt (ICI). Et dire qu'il y a un peu plus de 1000 ans de cela, c'est un lac qui s'étendait à perte de vue et non pas un fond de vallée humide et fertile.
Cependant, nous ne continuons pas plus loin. La nuit se fait présente, nous rentrons retrouver nos pénates, non pas sans avoir fait une halte auprès d'un orme des montagne (Ulmus glabra), espèce peu courante en raison de la graphiose mais relativement présente ici et reconnaissable aux dimensions de ses feuilles et de son tronc.
Au coeur de l'été :
Changement de saison et de températures. Cette fois-ci nous sommes partis pour atteindre le sommet. Il fait chaud, une grande partie de la végétation en basse altitude est brûlée par les rayons du soleil. Bien que l'année 2018 ne soit pas comparable à 2003, on a le sentiment de s'en approcher et cela n'est pas prêt de s'arrêter, les pronostics annonçant la répétition de ces épisodes de canicules pour les 5 prochaines années au moins.
La belladone (Atropa belladonna) est une plante agitant l'imaginaire collectif. Rattachée à la magie noire pendant l'antiquité et le moyen âge, elle était prisée dans les cours seigneuriales de la renaissance. Les femmes de haut rang s'en appliquaient l'extrait contenant un puissant alcaloïde, l'atropine, sur les yeux pour dilater leurs pupilles et se rendre ainsi plus attirantes d'où son nom tiré de l'italien "Bella donna", belle dame. C'est à la même époque qu'apparaissent des dictons autour de la plante. Ainsi, faire consommer une graine de belladone à une femme la rendrait folle d'amour et très active sexuellement, mais lui en faire consommer deux la rendrait folle et trois, la conduirait à la mort. Toxique et mortelle, elle appartient à la grande famille des solanacées, connue pour les espèces qui la composent et qui sont employées comme poisons et psychotropes. De ce fait, la belladone entre dans la composition du baume de sorcière, une préparation ancestrale qui appliquée sur les muqueuses permettaient aux magiciennes des campagnes de partir en transe.
Dans notre ascension forestière, nous tombons sur un très belle exemplaire de lichen pulmonaire (Lobaria pulmonaria). En période humide, il prend une jolie couleur verte et à la fructification, présenter des organes reproducteurs roses semblables à de petits fruits sans pour autant en être.
Il tient sa couleur à l'un des trois organismes qui le composent, l'algue Dictyochloropsis reticulata. Avec une cyanobactérie et un champignon, elle forme cette organisme hybride. Il est appelé pulmonaire en raison de l'usage ancien qui en était fait pour soigner les problèmes respiratoire en raison de sa ressemblance avec les lobes des poumons. Il est actuellement employé pour ses vertus anti-inflammatoires sur les muqueuses. Néanmoins, on n'aurait idée de le récolter, celui-ci se faisant extrêmement rare en raison de la sur-récolte qui a bien faillit le mener à sa disparition, phénomène renforcé par la pollution à la quelle il est très sensible et les grandes campagnes d'abbatages qui ont durablement modifiées son habitat. En rencontrer indique que l'on est dans une zone à l'air sain mais aussi, préservée en partie de l'action humaine.
L'aconit tue-loup (Aconitum lycoctonum subsp. vulparia) est l'une des plantes, pour ne pas dire la plante, la plus toxique d'Europe. Son nom de tue-loup lui vient de l'usage que l'on en faisait pour lutter contre les espèces que l'on jugeait indésirables, ce qui donne une idée de sa dangerosité. En Inde, on l'emploie encore aujourd'hui pour confectionner un poison virulent que l'on applique sur les têtes de flèches utilisées pour la chasse et la guerre.
Arrivée sur La Terrasse, à 1340 mètres d'altitude. La montée est aisée et la forêt se peuple peu à peu de grands conifères, les arbres aux feuillages caduques se retirant à mesure que nous grimpons, les conditions devenant peu favorables à eux, en particulier les températures qui se font fraîches très tôt dans l'année.
Les fougères sont à la fête. L'humidité ambiante et l'abondance d'ombre sont favorables à leur développement, leur reproduction impliquant la présence d'eau grâce à la quelle leurs spores peuvent se disséminer et se rencontrer.
La fougère mâle (Dryopteris filix-mas). Ses frondes se développent en formant un entonoire prenant pied sur une souche épaisse, écailleuse et profondément encrée dans le sol. Traditionnellement elle était employée comme vermifuges en l'incorporant dans l'alimentation animale et à la litières des bêtes de somme pour les débarrasser d'une partie de leurs parasites. Consommée au Japon et au Canada quand elle est sous forme de fronde, elle occasionne régulièrement des mises en hospitalisation, en raison des triterpènes et de la filicine qu'elle contient. Au pays du soleil levant, sa consommation serait la première cause de cancers de l'appareil digestif. Dans notre folklore européen, on racontait aux veillées du soir que les aventureux qui se trouvaient à minuit un soir de pleine Lune en forêt pouvait avoir la chance d'en trouver la fleur. S'il la cueillait et la gardait avec lui, il pouvait se rendre invisible volonté et avoir de grandes richesses le temps d'une année. Passé ce délai, la fleur ne faisait plus effet.
Enfin, le sommet de la Grande Sûre se dévoile à nous, à l'arrivée du pierrier qui nous fait pour un temps quitter la forêt. Au loin, un vautour fauve (Gyps fulvus) s'élève dans les airs, nous gratifie d'un regard puis passe derrière la crête rocheuse. Depuis le début de l'année nous en voyons à presque chacune de nos sorties.
Le chemin est étroit mais bien tracé, il faut cependant se montrer prudent dans le pierrier même si le cheminement se fait sans difficulté. Cette ouverture dans le flanc de la montagne est un véritable décroché où des plantes d'étages et milieux différents se côtoient, pour le plus grand bonheur des naturalistes et des botanistes. Petit rappel, la récolte de plantes et de fleurs dans le secteur selon les espèces est interdite ou réglementée.
Nous arrivons petit à petit à l'apage, qui se caractérise par des pelouses d'herbes rases et une abondance de plantes montagnardes. C'est de ce fait que nous avont la chance de tomber sur nos premiers plans de thè des Alpes (Sideritis hyssopifolia), appelé aussi crapaudine. Malgré son air simple, c'est une plante prisée pour ses propriétés.
C'est une plante digestive et expectorante, dont la délicieuse eau de vie est connue pour être vivifiante. De ce fait, elle entrerait dans la composition de la liqueur des pères chartreuse. En infusion, elle est excellente et parfume très bien les gâteau et les crèmes. Séchée, elle donne une odeur délicate au tiroir dans lequel elle se trouve. Emblématique du Dauphiné, elle est bien connue en Chartreuse où elle pousse sur l'étage alpin dès 1500 mètres d'altitude. Très appréciée des chamois, on peut souvent les observer en brouter les touffes sur les pends enherbés du Charmant Som, de la Pinéa, du Pinet, du Col de l'Alpette et de Chamechaude.
Enfin, nous voilà à l'alpage. En cuvette, il n'est que peu visible du pied de la montagne et s'ouvre à nous comme le cratère d'un volcan. Superbe, il est pâturé l'été par des vaches qui empruntent parfois d'étroits sentiers forestiers à fleur de falaise pour atteindre les pousses les plus tendre. La sécheresse y a fait son oeuvre et nous ne comptons plus les conifères morts et brunis par ce temps qui donne à l'herbage une couleur cramoisie bien triste.
Autre plante propre au folklore local, la vulnéraire des chartreux (Hypericum nummulariifolium). Ce millepertuis rentre également dans l'elexir de Chartreuse. On l'utilisait en médecine populaire comme l'arnica pour parer les coups mais aussi comme cicatrisant. En infusion, on l'employait comme tonique. En comme toujours en montagne pour les plantes médicinales, la vulnéraire est couramment préparée en liqueur. Appelée aussi millepertuis à sous, elle est protégée, particulièrement en Isère où sa récolte doit faire l'objet du suivis de règles particulières pour préserver cette espèce devenue rare en raison de la sur-cueillette mais aussi du dérèglement climatique et du renfermement des alpages suite à la déprise agricole de certains espaces de montagne. Elle se développe sur la roche, de préférence calcaire, dans les crevasses et les fentes de celle-ci. De ce fait elle est courante dans les lapiaz, des formations rocheuses typiques des sommets de Chartreuse.
Les éricacées sont à la fête, en montagne, elles sont bien plus nombreuses que l'on pourrait le croire. On peut par exemple rencontrer le raison d'ours (Arctostaphylos uva-ursi) présenté ici à gauche, un petit sous-arbrisseau aux baies rouges comestibles et aux feuilles médicinales mais tout aussi riches en contre-indications qu'en propriétés. Au centre se trouve les myrtillier sauvages (Vaccinium myrtillus), aux fruits délicieux que l'on ne présente plus. À droite, il s'agit d'un rhododendron ferrugineux (Rhododendron ferrugineum) à la floraison printanière rose et qui semble atteint par une énorme galle, sans doute provoquée par une colonie d'acariens ou par des champingons.
Autre grande figure de cette famille, la callune commune (Calluna vulgaris) qui souvent est prise à tort pour de la bruyère. Pour les distinguer, il faut savoir que les pétales de la callune sont en grande partie séparés, alors que ceux de la bruyères sont soudés et forment une clochette. Le département de Biologie ENS Lyon a, à ce sujet, créer un document simple pour apprendre à faire la distinction.
Elle est peu présente sur le plateau, du fait qu'elle ait une préférence marquée pour les sols de nature acide, d'où sa présence couramment remarquée dans les peuplements de conifères et sur les sols tourbeux. C'est aussi une plante médicinale utilisée en usage externe comme antiseptique pour soigner les engelures mais aussi les rhumatismes, en interne comme dépuratif et diurétique entre autre. La callune commune fait aussi partie des plantes qui sont prédisposées à l'absobtion des éléments radioactifs et toxiques présents dans le sol, ce qui demande en cas d'utilisation après récolte, une bonne connaissance de la nature du sol et de son histoire (nuage radioactive, enfuissages industriels, rejets d'industries etc.).
La gentiane champêtre (Gentianella campestris) est une petite fleur de moyenne montagne qui se plaît généralement à partir de 1000 mètres d'altitude. On la différencie de la gentiane d'Allemange (Gentianella germanica) qui lui est presque identique grâce au nombre de pétales : 4 chez la champêtre, 5 chez la germanique.
L'euphraise casse-lunette (Euphrasia rostkoviana) est une plante de plaine lumière qui pousse de faible altitude jusqu'à 3000 mètres, de préférence dans les zones à tendances humides, les pelouses, les lisières et les bords de talus.
Elle tient son surnom à la théorie des signatures. les veinures colorées qui traversent ses pétales évoquant les vaisseaux sanguins d'un oeil. De ce fait et par association d'images, la petite fleur fût utilisée pour soigner les problèmes oculaires comme les conjonctivites ou la myopie. Aujourd'hui encore elle est employée à ces fins en homéopathie et dans les médecines dites "douces". Il était également d'usage de penser qu'elle pouvait apporter la claire-voyance à celui qui s'apposait sur les yeux un linge imbibé de l'infusion de cette euphraise. On pensait également que la mise en place de cette technique sur les oreilles permettait de faire preuve de claire-audience, ce qui explique pourquoi dans certaines régions, on en plaçait des bouquets séchés dans les oreillers pour leurs vertus supposées.
La parnaisie des marais (Parnassia palustris) est une plante représentative des zones humides de montagne et qui se reconnaît à sa fleur blanche aux cinq pétales veinés de vert. Elle est aussi bien présente en Europe, de préférence occidentale et du nord, qu'en Asie et s'étend de la Chine au Japon. Cependant, elle reste peu commune dans de nombreux départements du pays d'où sa protection dans certains secteurs comme en Picardie, dans les Pays de la Loire ou dans le Centre. On parle alors de répartition euro-sibérienne pour cette espèce. On retrouve dans certaines traditions les traces de son usage populaire et qui est aujourd'hui abandonné, en raison de la rareté de la parnaisie mais aussi, de l'existance d'une pharmacopée plus appropriée, en particulier dans l'emploie qui en était fait pour ses tanins, des molécules plus présentes et facilement extrayables dans le chêne ou le thé entre autre.
Les mouflons corses (Ovis aries musimon) sont présents. Aux jumelles nous en dénombrons environs 35 en deux petits groupes distincts. La grande harde que composent ces animaux en Chartreuse partage son temps entre les alpages de la Grande Sûre et ceux du Charmant Som, peu sensibles aux passages des randonneurs.
Au sommet :
Le panorama change, l'herbe déjà rase laisse place aux pierres. Quelques plantes parviennent à s'adapter et prennent des formes tortueuses. Les vents forts qui s'expriment au sommet forcent les herbacées à prendre des forment rampantes ou en coussins pour résister aux faibles températures et à la morsure du gel.
Le genévrier commun (Juniperus communis) adopte cette stratégie pour se maintenir aux fortes altitudes. Ces fruits ressemblent à des baies bleues mais sont en réalité des cônes, en adéquation avec le fait que le genévrier appartient aux conifères et à la famille des Cupressacées.
C'est une espèce de plein soleil, qui aime les sols de nature calcaire, à l'image du massif. Les fruits, les genièvres, sont utilisées dans la confection d'eau-de-vie mais aussi de nombreux alcools locaux en Europe de l'Est et du Nord, comme dans le gin. Outre cet aspect, on les emploie parfois infusés pour les maux de l'appareil digestif. Utilisés pour lutter contre les lourdeurs intestinales, on les retrouve souvent dans les plats traditionnels riches, en particulier là où il est abondant. Leur présence dans la choucroute l'illustre particulièrement bien. Cependant une consommation abusive n'est pas sans danger pour les reins.
Enfin, nous voilà au sommet. La vue est incroyable. En face de nous, la Pinéa, Chamechaude et le Charmant Som se dressent. Nous dominons de tout son long l'alpage que nous venons de gravir et où nous avons la chance de croiser quelques chamois (Rupicapra rupicapra). Trois adultes accompagnés de deux petits prennent l'ombre non loin du sentier, une chance pour nous de les observer sans trop les perturber dans leurs habitudes.
De l'autre côté, l'Isère et sa vallée s'étendent. Le ciel est dégagé, des jumelles nous arrivons même à apercevoir Lyon et les monts du lyonnais. À nos pieds, Voiron se dresse fièrement. Du sommet nous pouvons retracer les éternelles marches menées dans la ville mais aussi, admirer les espaces naturelles que nous aimons arpenter comme les Gorges de Crossey, la Vouise, un bout des marais de Chirens et au loin, l'Herretang vers St Lau'.
Enfin, dernier tour sur le paysage nous offre un point de regard démentiel sur le Mont Blanc. Écrasant les autres sommets, on ne voit que lui. Sa cime couverte de neige éternelle nous rappel qu'il culmine à 4810 mètres d'altitude.
Plus près de nous et dans la même ligne de vue, le Pinet, le Granier mais aussi le lac d'Aiguebelette qui se love dans les plis du relief. L'action de l'Homme est visible, entre les alpages apparus avec la conquête du désert vert et l'arrivée du pastoralisme sur lequel la forêt reprend désormais ses droits, les grands axes de communication qui creusent la roche, les milliers de points lumineux qui enchaînent les allers-retours dans le ciel et les sentiers tracés au fil des années par les marcheurs, il y a de nombreux éléments à disposition pour s'essayer à la lecture de paysage. Constructions culturelles plus qu'on ne le pense, nos paysages sont des livres ouverts pour découvrir les activités liées à un territoire. C'est aussi un outil pour comprendre les enjeux économiques et environnementaux actuels.
Sur le retour nous avons une belle surprise, nous faisons un bout de chemin sur l'étroit sentier accompagnés d'une partie du troupeau des vaches en estive et qui semblent trouver leur bonheur dans le sous-bois. Au pied léger, elles s'engoufrent rapidement dans la forêt nous laissant seuls au retour vers le monastère de Currière.
Un dernier passage par le belvédère de la none, comme il y a quelques semaines de cela lors de notre première ascension. Saint Laurent du Pont n'a pas bougé, la ville a juste perdu quelques couleurs pour tendre vers le grillé et le jaunie.
Sur le retour, nous tombons nez à nez avec un magnifique de verveine officinale (Verbena officinalis), ponctuant la randonnée sur une touche colorée. Loin de la verveine asiatique que l'on retrouve dans les potagers ou dans les sachets d'infusion, notre verveine indigène donne une très bonne infusion détergente en extérieur et se montre diurétique et astringente en consommation, d'autant plus quand elle est mélangée à d'autres espèces comme la menthe ou la mauve. C'est sur cette récolte que se termine cette randonnée, teintée de botanique et de contemplation de paysages montagnards. Les mollets sont désormais au repos jusqu'à nos prochaines aventures.